La gestion des déchets électroniques : nouvel enjeu Nord-Sud ?
Alors que les appareils de télécommunication et autres équipements électriques et électroniques se répandent partout, des grandes mégalopoles aux petits villages isolés, la question de leur fin de vie se déploie au travers des relations Nord-Sud. Lors de la conférence : La gestion des déchets électronique : un nouvel enjeu Nord-Sud ? dans le cadre de la campagne Campus Plein Sud, cinq intervenants ont apporté un éclairage sur cette thématique: Yvan Schulz, chercheur à l’institut d’Ethnologie de l’Université de Neuchâtel (Suisse) qui étudie la gestion des déchets en Chine ; Eric Pirard, directeur du département de Génie Minéral, Matériaux et Environnement (GeMME) à l’Université de Liège et fondateur de l’ONG Ingénieurs Sans Frontière ; Serge Kimbel, fondateur de MORPHOSIS[1] (France) ; Niels Hazekamp, manager de la fondation Closing the Loop[2] (pays Bas) et enfin Isabelle Servant, responsable de la communication chez WorldLoop[3] (Belgique). La discussion a été animée par Fanny Lambert, Doctorante au GeMME-FAS à l’Université de Liège.
Un déchet électronique, qu’est-ce que c’est ?
Par définition, le déchet est ce qui n’a plus de valeur, ou tout du moins plus de valeur fonctionnelle car il garde la valeur résiduelle des matières qui le compose. En matière de déchets électroniques, on parle des DEEE, dits D3E, les Déchets Electriques Et Electroniques. L’expression concerne tous les équipements qui fonctionnent à l’électricité. Il en existe plusieurs catégories : les gros et les petits appareils ménagers, le matériel informatique et de télécommunication, les outils électriques et électroniques,…
D’entrée de jeu, Yvan Schulz nous fait percevoir le caractère contextuel et relatif de la définition du déchet. En effet, la valeur dépend du lieu et du moment dans l’histoire où l’objet se trouve ainsi que de la personne qui le regarde. Certains verront dans un appareil cassé un déchet alors que d’autres y verront une source de revenu : un objet à reconditionner ou à recycler, pour en retirer des matières plus ou moins précieuses. Il existe ainsi une similitude de vocabulaire entre la mine et le recyclage : il s’agit de gisements à exploiter, des richesses à capter sans générer de perte, si bien que l’on qualifie les DEEE de mines urbaines.
La collecte et le recyclage au Nord, comment cela fonctionne ?
Avant de pouvoir recycler, il s’agit de collecter les DEEE, récupérer les appareils dispersés chez les particuliers représente en soi un fameux défi. En Belgique, le système Recupel est d’application. Sur chaque appareil électrique ou électronique acheté, il existe une écotaxe qui va de quelques centimes à deux ou trois euros, nous explique Serge Kimbel. Cette écotaxe est gérée par des éco-organismes ayant pour vocation d’organiser la collecte, l’attribution des marchés de collecte et l’attribution des tonnages aux recycleurs et ce, en fonction des catégories d’appareil. Ces éco-organismes gèrent la collecte via des déchèteries et des magasins d’électroménagers, ces derniers ayant une obligation de reprise. A côté de ces éco-organismes, nous retrouvons également des organismes d’économie sociale et solidaire dont le rôle est la collecte de façon un peu alternative : ils peuvent par exemple proposer de venir chercher les appareils, ils ont des objectifs de réparation et de reconditionnement avant de vouloir recycler ou encore ils créent des emplois pour un public précarisé.
Quant au recyclage, il nécessite plusieurs étapes. Si l’on prend l’exemple du GSM, il d’agit d’abord de le démanteler soit de manière mécanique, soit manuellement pour obtenir la carte mère où se trouve l’essentiel des métaux, toujours selon Serge Kimbel. La carte subit ensuite un traitement thermique afin d’éliminer les matières organiques et atteindre les parties métalliques. Les métaux sont amalgamés par fusion dans une matrice en cuivre. S’en suit un traitement électrochimique qui sépare l’or puis le palladium, le platine et l’argent. Enfin, l’opération se termine par une étape d’affinage pour purifier le métal. Les métaux ferreux repartent dans les filières sidérurgiques classiques – Arcelor Mittal est l’un des plus gros recycleur de métaux de la planète.
En ce qui concerne les plastiques, un tri est réalisé à l’infrarouge pour déterminer la typologie de plastique. La grande difficulté avec le plastique présent dans les déchets DEEE réside dans le fait qu’il en existe une large variété utilisant des retardateurs de flamme, qui le rendent difficilement recyclable. Une fois trié, le plastique est transformé en granulés, refondu, il passe dans des vis sans fin afin d’être extrudé et enfin il est filtré pour en faire de nouveaux éléments.
Une dizaine de matériaux peuvent ainsi être recyclés. Ce sont les métaux précieux qui permettent l’équilibre financier de l’opération de recyclage. Pour certains appareils, en fonction du court des matières, on peut passer d’une économie positive à une économie négative. Ivan Schulz raconte ainsi qu’en Chine, les petits commerçants qui font du business autour du cuivre peuvent fermer du jour au lendemain si le court de celui-ci passe sous un certain seuil, ou encore, toujours selon Ivan Schulz, l’acier très recherché un jour est délaissé quelques mois plus tard car le prix n’est plus intéressant.
Des pratiques à améliorer
Fondamentalement, les appareils électriques et électroniques aujourd’hui sont loin d’être aussi recyclables qu’ils pourraient l’être, nous dit Eric Pirard. Pourtant afin de favoriser le recyclage, il existe au niveau européen une loi sur la responsabilité élargie du producteur. Cette loi vise à responsabiliser l’entreprise par rapport au recyclage des produits qu’elle met sur le marché en internalisant les coûts liés au recyclage : c’est à elle à la financer. L’objectif est d’amener le producteur à concevoir ses appareils de la manière la plus écologique possible soit par les matériaux utilisés soit par les possibilités de démantèlement. Il y a en effet énormément à faire au niveau de la conception et du design des produits pour pouvoir recycler tous les matériaux. Un exemple criant est celui des batteries qui sont celées dans les appareils, alors que les rendre séparables permettrait de développer une filière de recyclage du cobalt, du lithium. Malheureusement, selon Yvan Schulz, cette loi sur la responsabilité élargie des producteurs est un échec : les conceptions n’ont changé que de façon très marginale.
Une autre piste pour intégrer la problématique du recyclage dès la conception serait de développer une économie de la fonctionnalité. Le consommateur ne serait plus propriétaire de l’objet mais il paierait pour le service que l’objet lui rend : il ne serait plus propriétaire de l’ampoule mais paierait une petite somme pour l’éclairage à une société propriétaire de l’ampoule qui la mettrait à disposition. Cette société propriétaire aurait alors tout intérêt à ce que l’appareil dure le plus longtemps possible. Deux risques cependant à ce modèle : d’une part le risque que les usagers ne puissent plus réparer les objets eux-mêmes, comme dans les cas des ordinateurs que l’on ne peut pas ouvrir. D’autre part, si l’appareil ne change pas de propriétaire, les valeurs qu’il contient ne change pas non plus de main, or, comme nous allons le voir, la collecte de déchet permet dans une certaine mesure une redistribution de richesse.
Recyclage des déchets, une complémentarité Nord-Sud ?
Si les flux de déchets électriques et électroniques qui rentrent dans la catégorie des substances jugées toxiques du Nord vers le Sud, sont une réalité, il ne faudrait cependant pas tomber dans un discours simpliste où le riche Nord utiliserait le pauvre Sud comme poubelle. D’abord, il existe très peu de données sur la question et les études faites sur le sujet montrent que les flux sont principalement intrarégionaux plutôt qu’interrégionaux. Notons que, comme le souligne Yvan Schulz, la notion même de Nord et de Sud connait actuellement d’importantes limites conceptuelles. En effet, les réalités sont totalement différentes entre un petit village du Mozambique éloigné de toutes centrales de recyclage et une mégalopole chinoise qui non seulement possède ses centrales mais dispose aussi d’un important parc industriel drainant vers lui les matières recyclées.
En matière de déchets électroniques, il est plus souvent question de business entre partenaires selon un principe nommé le « best of two world ». En effet, nous l’avons vu, les procédés de recyclages de déchets électroniques demandent une technologie importante qui n’est pas disponible dans les pays du Sud, si bien que des GSM collectés et parfois démantelés au Sud sont ensuite envoyés au Nord pour être traités. C’est ainsi que travaille MORPHOSIS, Closing the Loop et de WorldLoop.
Ainsi WorldLoop soutient des entrepreneurs locaux afin de mettre sur pied des entreprises de collecte, de démantèlement, de réparation, de reconditionnement voir de recyclage en apportant une aide financière et des formations. Dans ses projets, l’association insiste auprès de ses partenaires pour qu’ils ne prennent pas seulement ce qui les intéresse mais le déchet dans son ensemble quitte à renvoyer ce qui ne les intéresse pas en Europe afin que cela soit recyclé. Closing the Loop, lui, organise une collecte de téléphone au Ghana puis les rapatrie en Belgique pour le faire recycler. Quant à MORPHOSIS, ils ont mis en place, en partenariat avec la société Orange et Emmaüs international, des systèmes de collecte auprès des réparateurs de GSM au Niger, au Mali, en Côte d’Ivoire, à Madagascar, au Kenya et au Chili. MORPHOSIS rachète les cartes mères des GSM qui ne peuvent plus être réparés pour les recycler en Europe. Ces projets créent une source de revenus pour les collecteurs.
Si dans le contexte actuel, le best of two world est une solution pragmatique, sans doute la plus efficace en matière de recyclage et de dépollution, on peut cependant se poser la question : ne s’agit-il pas d’une nouvelle captation des richesses, celles contenues dans les DEEE, du Sud vers le Nord ? Ne faudrait-il pas, à long terme, développer le transfert les technologies de recyclage de Nord vers le Sud ? Aujourd’hui, entre autre parce que la main d’œuvre y est « meilleure marché », on développe les ateliers de démantèlement au Sud et les collecteurs préfèrent vendre les cartes mères en Chine et au Ghana. Ces derniers pays peuvent en effet proposer un meilleur prix de rachat car ils ont peu/pas de coût lié aux contraintes environnementales en matière de traitement des déchets : les gaz et les bains sont rejetés dans la nature. Comme dans beaucoup de secteurs, il y a un long chemin d’harmonisation des normes sociales et environnementales à réaliser au niveau mondial.
Et moi dans tout ca ? Que puis-je faire en tant que citoyen, en tant qu’étudiant ?
Pour améliorer le recyclage et la dépollution liée au DEEE, les pistes d’action ne manquent pas. Il y a bien sur tout ce qui relève de la consommation responsable : se renseigner sur les méthodes de production, choisir des objets solides et si possible « Faire Trade », réparer tant que possible et quand ca ne l’est pas, recycler, faire pression sur les compagnies pour qu’elles utilisent des modes de production durables, résister aux sirènes de la société de consommation qui nous poussent à acquérir les appareils dernier cri.
Au-delà de la consommation responsable, les différents intervenants invitent les étudiants à faire profiter leur organisme respectif de leurs connaissances et de leurs compétences. Ainsi Isabelle Servant évoque la possibilité pour les étudiants d’intervenir dans le champ de leurs compétences dans les formations de WorldLoop dans le cadre de leur stage de fin d’étude. Serge Kimbel souligne que de nombreux volontaire vont travailler dans les associations mises en place par Emmaüs. Ces associations ont besoin d’un large champ de compétences : non seulement dans les domaines techniques et environnementaux mais aussi des compétences de formation, des compétences économiques, de management ou simplement de la créativité et de la bonne volonté. Les étudiants y sont les bienvenus. Quand à la recherche à proprement parlé, Eric Pirard souligne la nécessité d’étudier la réparabilité dans la conception des produits micro-électronique.
De façon plus large, comme le fait remarquer Eric Pirard, c’est notre interrogation face à la mise en décharge des déchets décuplés par des modes de consommation effrénés qui a été l’incitant principal au recyclage et qui a amené la collectivité à s’organiser pour collecter les déchets. La meilleure gestion d’un déchet est encore de le rendre inexistant, c’est en prenant conscience de cela et en freinant la consommation en augmentant un maximum la durée de vie des appareils, qu’on atteindra les systèmes de dépollution les plus efficaces. Dans cette optique, tout le modèle économique de production et de consommation serait à repenser en ce sens.
Claire Wiliquet
UniverSud
[1] https://www.MORPHOSIS.fr/page/accueil.html
[2] http://www.closingtheloop.eu/