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Le mini-élevage comme remède à la malnutrition Étude sur les ménages pauvres de Kinshasa

Étude sur les ménages pauvres de Kinshasa

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« La sécurité alimentaire existe lorsque tous les êtres humains ont à tout moment la possibilité physique, sociale et économique de se procurer une nourriture suffisante, saine et nutritive, leur permettant de satisfaire leurs besoins et préférences alimentaires pour mener une vie saine et active » (Sommet mondial de l’alimentation, Rome 1996).

Selon le rapport mondial sur l’alimentation et l’agriculture de la FAO (2017), une personne sur trois souffre de la malnutrition, 2 milliards de personnes présentent des carences en micronutriments essentiels, comme le fer, la vitamine A ou l’iode. 155 millions d’enfants de moins de 5 ans ont un retard de croissance consécutif à la malnutrition, majoritairement en Afrique et en Asie. Selon le nouveau rapport mondial sur les crises alimentaires, près de 108 millions de personnes vivant dans 48 pays en crise alimentaire couraient des risques élevés d’insécurité nutritionnelle grave et aiguë en 2016, ou y étaient déjà confrontées, soit un effectif qui a connu une hausse spectaculaire par rapport aux 80 millions de personnes enregistrés en 2015 (FAO, 2017). Devant ces chiffres alarmants, la mise en place d’approches intégrées s’impose en vue de répondre de façon efficace à ces problèmes.

L’insécurité alimentaire en Afrique est le résultat d’une production faible associée à des revenus insuffisants, et est la conséquence d’un échec de nature politique et institutionnelle (Devereux, 2013). L’élevage est un maillon central pour la sécurité alimentaire dans les pays du sud. Il fait partie intégrante des activités agricoles et économiques, et joue un grand rôle dans la production des denrées alimentaires de haute valeur protéique telles que la viande ou le lait. Son apport actuel ne permet malheureusement plus de pallier la malnutrition. Des perspectives innovantes sont, de ce fait, attendues. Le mini-élevage au profit des ménages constitue à ce titre un espoir.

Sécurité Alimentaire à Kinshasa : état des lieux et perspectives

Un fait d’actualité belge relativement récent – le décès d’un nourrisson alimenté exclusivement de jus végétaux – nous le rappelle : les enfants ont besoin de protéines de qualité pour grandir et se développer harmonieusement. La carence protéique est une composante de la malnutrition dans les ménages pauvres des milieux ruraux et péri–urbains des grandes villes du sud. À Kinshasa notamment, la prise en charge actuelle des cas de malnutrition sévère est basée efficacement sur les dons alimentaires, qui créent cependant une forme de dépendance nutritionnelle vis-à-vis des systèmes d’Aide. En République Démocratique du Congo, les déplacements de population des provinces vers la capitale ont conduit à une démographie galopante. Cette situation est aggravée par l’instabilité socio-politique du pays. Les nouveaux arrivants vivent dans une précarité et une insécurité alimentaire chroniques. Ils gagnent de faibles et aléatoires revenus provenant de petites activités commerciales ou industrielles.

Entre mai et juin 2017, une étude a été menée dans 6 zones de santé urbano-rurales parmi les 25 que compte la ville-province de Kinshasa (Biyela, Kisenso, Maluku, N’sele, Selembao, Mont Ngafula 1). L’étude visait à évaluer la situation actuelle de la malnutrition dans les ménages ayant connu le phénomène (état nutritionnel des enfants du ménage, fréquence de distribution ou de disponibilité des repas) et à évaluer la potentialité de ces ménages à entreprendre un élevage familial d’autoconsommation.

Un total de 104 ménages (140 cas de personnes malnutries) ont participé à cette enquête. Les résultats ont montré que les enfants et les mères au foyer représentent plus de la moitié (jusqu’à 95%) des cas de malnutrition. La moitié de ces ménages cultive des jardins parcellaires pour produire des légumes destinés à accompagner la pâte de manioc (Fufu et Chikwangue), très pauvre en protéines. Dans ces familles, la consommation d’aliments riches en protéines animales (viande, œufs et dérivés) reste l’apanage des personnes dont les revenus le leur permettent. La vulnérabilité économique de ces ménages fait que 80% d’entre eux mangent rarement des produits animaux. La promiscuité des habitations des zones péri-urbaines a considérablement réduit les surfaces cultivables à des valeurs rarement supérieures à 100m2. Elles ne favorisent pas une exploitation agricole céréalière suffisante comme dans les campagnes ou les milieux ruraux. Deux tiers des ménages ne font pas d’élevage. La moitié des autres familles élève des poulets, et l’autre moitié associe plusieurs espèces (chèvres, porcs, canards, poulets, lapins). Certaines d’entre elles servent heureusement de modèle à leur voisinage pour entreprendre un élevage.

L’élevage familial est donc peu pratiqué, par ignorance, par manque de moyens, ou par absence de surfaces suffisantes. Une sensibilisation et un accompagnement des populations dans la mise en place d’élevages familiaux se justifieraient pleinement.

Applications potentielles

Une unité de mini-élevage adaptée aux ressources des ménages serait particulièrement bien adaptée pour répondre aux besoins des ménages pauvres, besoins notamment exprimés dans les centres hospitaliers de prise en charge des cas de malnutrition.

De manière triviale, un mètre carré de terre ensoleillé, bien irrigué, et bien entretenu permet de produire 5 kilos de fourrage frais par an, soit de quoi engraisser, par exemple, un cobaye et donc de consommer un repas familial contenant de la viande. Par extension, 50 mètres carrés (un carré de 7 mètres de côté) bien entretenus et dédiés à l’élevage permettent de manger de la viande une fois par semaine. Ce petit modèle simplifié doit être adapté selon que l’on veuille promouvoir par exemple la production de lapins, ou de volailles, mais le principe de base reste le même. Il peut même présenter un caractère interdisciplinaire. Par exemple, comment maintenir la fertilité d’un sol duquel on prélèverait régulièrement la production fourragère ? Il existe des méthodes très simples. L’une d’entre elles consiste à restituer au sol les déjections issues des productions animales, après les avoir assainies, par exemple par compostage. Même les déjections humaines pourraient être recyclées, moyennant également quelques règles de prudence, mais ce procédé se heurterait malheureusement à des tabous difficiles à raisonner. Une autre option consisterait à établir une association mutualiste entre espèces déjà cohabitantes dans les ménages. Les espèces à cycle court (volailles, lapins, cobayes, etc.) sont les mieux indiquées, auxquelles pourraient être associés les petits ruminants. Un tel élevage pourrait générer non seulement des denrées mais également des revenus financiers additionnels.

À priori, le modèle paraît simple, mais il y a tout de même loin de la coupe aux lèvres. Faire de l’élevage – devenir éleveur si on ne l’est pas – nécessite idéalement les conseils de spécialistes. Et les meilleurs en la matière sont les ingénieurs d’élevage formés dans les universités du sud. Qui mieux que ces professionnels, associés à des vétérinaires, connait les règles d’alimentation, de logement, de sélection, de reproduction et de soins à apporter et à fournir aux animaux ? C’est pourquoi ces experts seraient les bienvenus auprès des familles pauvres et, pourquoi pas, comme spécialistes dans les hôpitaux qui gèrent les cas de malnutrition.

Les freins et les risques qui se présentent face au développement du mini-élevage sont certes nombreux : mortalité ou vol des animaux, investissement en temps, occupation des terres et donc risque de confiscation des biens produits, coût d’opportunité, jalousie, etc. Toutefois, les potentialités agricoles dans les grandes villes des régions suffisamment irriguées sont bien présentes. Elles devraient être exploitées afin de réduire les cas de malnutrition et ainsi contribuer à l’atteinte des Objectifs du Développement pour 2030.

Les mini-packages d’élevage constituent une véritable opportunité pour les ménages pauvres des grands villes africaines. Ils sont susceptibles de créer des biens alimentaires et de la richesse à très faibles coûts. Le principal frein se situe au niveau de la sensibilisation des familles et de l’expertise apportée par des spécialistes de l’élevage.

Charles Amenou
Jean-Luc Hornick
Pierrette Mubadi

 

Références bibliographiques

Papa Abdoulaye Seck, Afiavi Agboh-Noameshie, Aliou Diagne, Ibrahim Bamba., 2013. Repackaging Agricultural Research for Greater Impact on Agricultural Growth in Africa. Journal of Food Security. 1(2):30-41.

Devereux, S. (2013). Trajectories of social protection in Africa. Development Southern Africa, 30(1), 13-23.

FAO, 1996. Déclaration de Rome sur la sécurité alimentaire mondiale. Sommet mondial de l’alimentation. Rome : FAO.

FAO, 2017. La situation mondiale de l’alimentation et de l’agriculture. Ed. Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture. Rome.

FAO, 2017. Rapport mondial sur les crises alimentaires. Ed. Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture. Rome.

Author: Alin Teclu

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