Philanthropie et solidarité internationale : des ressources privées au service d’un intérêt général mondial ?
Alors que « La Bolivie dit non aux milliers de poules offertes par Bill Gates »,[1] « Mark Zuckerberg parle pauvreté chez le Pape François ».[2] À la lecture de ces deux phrases, mises bout à bout, nous imaginons déjà s’esquisser les sourires amusés aux coins des lèvres de ceux qui s’intéressent aux questions de solidarité et de relations internationales, de rapports Nord-Sud, de coopération au développement. « Pourquoi ces multimillionnaires, génies des nouvelles technologies viennent se mêler des inégalités dans le monde ? », doivent-ils penser…
D’ordinaire, la philanthropie est liée aux notions de charité, d’altruisme, de bienfaisance, de générosité, et j’en passe. Etymologiquement, la philanthropie est définie comme l’amour (philos) de l’homme (anthropos). En pratique, la philanthropie est considérée comme un transfert de ressources privées au service d’un intérêt général, du bien commun et d’une meilleure qualité de vie d’autrui. Néanmoins, bien que parties intégrantes du tiers-secteur, la philanthropie, son rôle et ses enjeux restent peu – voire mal – connus, de manière générale et notamment en coopération au développement. En conséquence, l’acte philanthropique n’est que trop rarement remis en question ou, du moins, considéré sous un angle un tant soit peu critique.[3]
Et pourtant, questionner le rôle de l’action philanthropique au sein de l’espace public se révèle particulièrement important, et même essentiel. En effet, les décisions en matière d’intérêt général, en ce compris la coopération internationale, ne sont aujourd’hui plus uniquement du ressort des autorités gouvernementales – à considérer qu’elles l’aient jamais été. Aux choix collectifs consensuels se substituent des préférences individuelles multiples. Désormais, dans notre société interconnectée et interdépendante, chacun peut se faire philanthrope à sa manière et exporter sa philanthropie où il l’entend. Un exemple récent : le youtubeur français Jérôme Jarre est parvenu à récolter deux millions de dollars en quelques jours à peine pour lutter contre la famine en Somalie.[4] Il apparaît aujourd’hui légitime de s’interroger : quelles influences, positives et négatives, les ressources privées exercent-elles sur une mission d’intérêt aussi général que l’amélioration des conditions de vie des populations du Sud et la réduction des inégalités de par le monde ?
Quel état du financement du développement à l’heure actuelle ?
Si le cœur de cette réflexion est de considérer le rôle des ressources privées – financières en majorité – dans le secteur de la solidarité internationale, il importe de commencer par se pencher sur l’état du financement du développement à l’heure actuelle. En juillet 2015, s’est tenue à Addis Abeba, Ethiopie, la Troisième Conférence internationale sur le Financement du Développement. Cette conférence définit le cadre de financement de l’aide, et plus spécifiquement des Objectifs de Développement Durable (ODD). Sa particularité par rapport aux précédentes conférences onusiennes ? Elle insiste sur la nécessité de mobiliser des ressources alternatives – issues du secteur privé notamment – aux budgets nationaux.
Tout qui fait l’exercice d’évaluer les budgets supposément nécessaires à la réalisation de ces ODD dirait, sans la moindre hésitation, que l’ONU a, effectivement, toutes les raisons d’insister. Les montants annoncés pour financer ces objectifs s’élèvent entre 3 et 5 milles milliards USD… par an.[5] Soit légèrement au-dessus des 146 milliards USD que représentaient l’aide publique au développement (APD)[6] allouée par les pays membres du Comité d’aide au développement (CAD)[7] de l’OCDE pour l’année 2015.[8] Soyons ambitieux et ajoutons à ces 3 à 5 milles milliards les 13 à 15 milles milliards USD d’investissement entre 2015 et 2030 que l’Agence internationale de l’Energie estime nécessaires pour financer la réalisation de l’Accord de Paris sur le climat, adopté lors des négociations de la COP21 en décembre 2015.[9] À la vue de ces chiffres faramineux, il devient évident que les gouvernements ne pourront, à eux seuls et sur la base du système économique et bancaire actuel, fournir, au travers de l’aide publique, qu’une mince portion des montants requis ; surtout s’ils continuent d’amputer leur montant d’APD de quelques pourcents chaque année, à l’instar de la Belgique.[10] Mais tout reste une question de choix politiques.
À la suite de cet exposé chiffré sur l’état du financement du développement, une question nous vient à l’esprit : concrètement, que représente, parmi tous ces milliers de milliards, le budget philanthropique alloué à la coopération au développement ?
Selon la base de données statistiques de l’OCDE,[11] les apports totaux privés et publics des pays membres du CAD s’élèvent à 588 milliards USD pour l’année 2014.[12] D’une part, les apports et dons privés représentent 445 milliards USD, soit un peu plus de 75% du total de 588 milliards USD. Autrement dit, sans avoir attendu le programme d’Addis Abeba, les ressources privées dominent d’ores et déjà les flux de financement du développement. D’autre part, parmi ces 445 milliards USD de flux privés, seuls 32 milliards concernent les fondations et les bras philanthropiques des entreprises (et encore, rassemblés avec les ONG), soit 6% du total de 588 milliards USD. Autrement dit, pas grand-chose…
Poussons la réflexion un pas plus loin et considérons les données pour l’années 2004, soit dix ans auparavant. L’apport de l’APD était de 97 milliards USD (137 en 2014) et les dons privés (dont ONG) étaient de 14 milliards USD (32 en 2014). Les dons privés ont fait un bon de presque deux fois et demi, alors que l’APD n’a augmenté que d’une fois et demi. Compte tenu de ce rythme de croissance, certains chercheurs en sont venus à affirmer que les dons privés égaleraient, voire dépasseraient, bientôt les montants de l’APD. Selon ces chercheurs, sur les presque 100 milliards USD d’APD en 2004, seul un tiers a été alloué à des programmes de développement à long terme,[13] soit un montant proche des 32 milliards de dons privés avancé par l’OCDE.
Si l’argumentation de ces chercheurs parait tenir la route, il ne faut pas oublier qu’il est encore, à ce jour, compliqué de définir ce que l’on entend par acteurs et organisations philanthropiques, tant les catégorisations, les pratiques et les législations nationales en la matière sont nombreuses. Les montants supposés du financement philanthropique du développement se révèlent trop volatiles pour en tirer une quelconque conclusion générale. La littérature, tant scientifique que grise, regorge de chiffres aussi différents les uns que les autres, suivant le périmètre considéré. Par contre, même si les chiffres fournis par l’OCDE ne sont probablement pas tout à fait exacts, ils permettent de donner un ordre de grandeur. Et il apparait indéniable que la part des subsides publics alloués au secteur associatif diminue chaque année. Les résultats du dernier baromètre de Donorinfo confirment eux aussi cette diminution : « en 2015, la part des financements privés pro- gresse (60,2% des produits 2015 contre 59,2% en 2014), celle des subsides publics se contracte (35% des produits 2015 contre 36% en 2014) ».[14] En matière de coopération au développement plus précisément, l’aide belge ne cesse de diminuer depuis 2010 et l’intention du Cabinet De Croo est de continuer à opérer des coupes budgétaires jusqu’en 2019.[15]
Quelle participation de la philanthropie à la coopération internationale ?
En réalité, la présence et la progression des ressources privées et philanthropiques dans les flux de financement du développement n’ont rien d’étonnant. La participation des acteurs privés philanthropiques au financement de la solidarité internationale n’est pas neuve, contrairement à ce qu’on pourrait penser. Comme le soulignent Gautier Pirotte et Julie Godin dans leur « Enquête sur les Initiatives Populaires de Solidarité Internationale », dans l’histoire de la coopération, « […] depuis toujours, initiatives privées et interventions publiques ont coexisté [et] l’initiative privée domine largement », voire précèderait le financement public.[16] Quelques exemples en termes d’action philanthropique : dès 1920, la Rockefeller Foundation soutient des actions en matière de santé hors des frontières américaines ; en 1940, elle initie la Révolution verte au Mexique et ambitionne d’éradiquer la faim dans le monde ; en 1980, sa consœur, la Ford Fondation, finance Yunus et sa célèbre Grameen Bank, amorçant ainsi l’ère du micro-crédit.[17] Plus récemment : la Ford Foundation a soutenu la 21e International AIDS Conference à Durban ; et la Bernard van Leer Foundation, bien connue aux Pays-Bas, est parvenue à convaincre le gouvernement brésilien de l’efficacité de ses projets en matière de santé à destination des populations amazoniennes.[18]
Par contre, la participation des acteurs philanthropiques aux conférences onusiennes traitant du financement et de l’efficacité de la solidarité internationale, comme celle d’Addis Abeba, est, quant à elle, un évènement (très) récent. Ni le Consensus de Monterrey sur le financement du développement de 2002, ni la Déclaration de Paris sur l’efficacité de l’aide de 2005 ne font mention du rôle potentiel du secteur philanthropique pour atteindre leurs objectifs. En 2008, la Déclaration de Doha et le Programme d’Action d’Accra, qui réaffirment les deux précédents accords, évoquent simplement la nécessité de chercher d’autres sources de financement pour compléter l’APD. Ce n’est qu’en 2011, avec le Partenariat de Busan, que la contribution des fondations – acteurs philanthropiques par excellence – est officiellement reconnue. Pourtant, une seule fondation est représentée cette année-là en Corée du Sud : la Bill & Melinda Gates Foundation.[19] Il faut attendre la 69e Assemblée générale des Nations Unies, en septembre 2014, pour voir la création d’une plateforme visant à faciliter et visibiliser l’engagement philanthropique en faveur de la réalisation des ODD.[20]
Entre moins-values et plus-values, le paradoxe philanthropique ?
Dès lors, puisque le financement privé de la coopération au développement n’est pas une nouveauté en soi, mais que la diminution des subsides publics se fait de plus en plus grande et que les fondations et autres acteurs philanthropiques participent davantage aux conférences onusiennes, il importe de s’interroger sur les influences potentielles, positives (plus-values) et négatives (moins-values), de l’action philanthropique.
La philanthropie émane d’un choix individuel, d’une vision personnelle du philanthrope de ce qui relève ou non de l’intérêt général. Le philanthrope a, inévitablement, tendance à favoriser certaines causes qui lui paraissent davantage légitimes. Ce choix individuel rencontre rarement la majorité. Cet aspect critique est appelé particularisme philanthropique. Et si le choix d’une mission d’intérêt général est laissé à l’appréciation d’un individu, il apparait évident que ce même individu ne peut disposer, à lui seul, des ressources financières et matérielles suffisantes pour répondre pleinement, efficacement et professionnellement à la cause choisie. Sont ainsi critiqués le caractère insuffisant et l’amateurisme de la philanthropie.[21]
Par conséquent, certains domaines, plus compliqués à évaluer, moins visibles, moins sexy – l’éducation à la citoyenneté mondiale, à titre d’exemple – peuvent être délaissés par le financement privé. Et d’autres domaines, a contrario, peuvent se voir accaparés par les acteurs privés, aucune décision ne pouvant plus être prise sans leur aval – la santé publique des pays du Sud, par exemple.[22] Il existe ainsi un risque de paternalisme philanthropique, autrement dit les individus les plus fortunés, et donc potentiellement les plus influents, prennent le contrôle, sans consultation démocratique préalable, de telle ou telle cause d’intérêt général, visant précisément une société plus juste et égalitaire. Après tout, la philanthropie ne doit-elle pas son existence à cette répartition inégalitaire des richesses ? Et, in fine, ne participerait-elle pas à la reproduction d’un système qui pourrait être qualifié de ploutocratique ?[23]
Prenons l’exemple de la Bill & Melinda Gates Foundation. Avec un budget deux fois supérieur à celui de l’Organisation Mondiale de la Santé et en tant que second bailleur de fonds de l’organisation onusienne, la fondation du créateur de Microsoft exerce une influence certaine dans le secteur de la santé publique à travers le monde. Et pourtant, le placement du capital de la fondation Gates, notamment dans des compagnies pétrolières, peut difficilement être qualifié de « socialement responsable ». En effet, celui-ci, bien qu’utilisé pour financer les missions d’intérêt général que se donne la fondation, n’est pas toujours cohérent avec ces mêmes missions.[24]
À ces aspects critiques anti-démocratiques, la philanthropie et ses adeptes répondent par une série de plus-values, comblant les failles du financement étatique et de l’aide publique au développement. Par leur contribution aux activités de coopération internationale, les structures philanthropiques enrichissent, au sens propre comme au figuré, la communauté du développement. N’étant contraintes par aucun accord intergouvernemental, les philanthropes auraient tendance à proposer d’autres méthodes, en dehors des cadres paradigmatiques traditionnellement revendiqués. Les inclure dans cette communauté du développement diversifie les valeurs et représentations qui la composent, offrant l’opportunité d’aborder un même problème sous différents angles. Ce pluralisme d’opinions contribue au renforcement d’une société dynamique, ouverte et inclusive. N’est-ce pas justement le propre d’une société démocratique de réunir en son sein des acteurs se différenciant sur autant de variables que sont les expériences culturelles et éducatives, les convictions politiques, économiques et sociales, les obédiences religieuses… ?[25]
Poussons la réflexion un pas plus loin. En ce sens, la philanthropie ne ferait-elle pas partie intégrante de la société civile ? De par son pluralisme et sa rencontre avec l’intérêt général, la philanthropie serait constitutive de cet espace d’échange public où l’ordre politique au sens large est débattu, voire remis en cause. D’une certaine manière, les organisations philanthropiques en solidarité internationale sont des acteurs politiques, au sens où elles permettent de penser le développement autrement. En cela, la philanthropie peut se revendiquer de la démocratie : elle remet potentiellement en question le monopole gouvernemental sur les priorités du Sud.[26] Mieux encore : la philanthropie peut devancer l’action publique et stimuler la création de partenariats porteurs d’idées qui ont fait leurs preuves. Puisque l’indépendance des philanthropes n’a de limite que leurs finances et leur engagement, ils ne sont pas tenus de répondre aux attentes de l’électorat, ni aux préoccupations des actionnaires, ni aux exigences des bailleurs de fonds et disposent, ainsi, d’une plus large marge de manœuvre que les gouvernements, les entreprises et les ONG. Par conséquent, ils disposent également de l’opportunité de mener des projets à la fois innovants et de long-terme, souples et sans embarras bureaucratique, et de se positionner en joueurs de niches, pour tester des formes de coopération singulières. Ils peuvent faire office de « learning laboratory » et développer une connaissance pointue de certaines causes, régions et communautés.[27]
Prenons un exemple belge pour illustrer cette plus-value philanthropique. En mai 2016, une coopérative de café du Burundi a pu ouvrir sa propre usine de traitement, grâce à l’investissement réalisé par le fonds à impact social Kampani. Créé à l’initiative de diverses ONG et investisseurs privés, dont la Fondation Roi Baudouin, ce fonds se donne pour mission de soutenir les organisations agricoles jugées trop petites pour se voir accorder un prêt par les institutions bancaires classiques et trop grandes pour accéder au micro-crédit. Ainsi, Kampani est unique en son genre sur deux aspects. D’une part, il se positionne entre l’entreprise traditionnelle et l’acteur philanthropique : les investissements réalisés sont, une fois récupérés, réutilisés pour soutenir d’autres organisations agricoles. D’autre part, il vient combler un vide dans les possibilités d’accès à des financements. Grâce à Kampani, la coopérative ne dépend plus de tiers pour traiter ses grains de café. Sachant que plusieurs milliers de familles burundaises vivent grâce au secteur du café, l’intervention du fonds d’impact apparaît non négligeable.[28]
Aurait-on trouvé là, en dépit des possibles dérives anti-démocratiques, le remède miracle à tous les maux dont souffre l’humanité ? Ce serait sans compter le manque de transparence qui caractérise souvent le secteur philanthropique. Selon les législations nationales en vigueur, les philanthropes sont contraints ou non de divulguer les informations liées à la gestion de leurs fonds. Ainsi, il est parfois difficile d’obtenir des informations précises quant à la conduite des soutiens philanthropiques en solidarité internationale. Les risques de fragmentation, de saupoudrage et de duplication de l’aide peuvent, en conséquence, être accrus. Or, s’il n’existe pas de véritable culture du partage de la part des organisations philanthropiques, le capital intellectuel construit ne peut être pleinement utilisé et ne peut favoriser la création de potentiels partenariats publics-privés. Et en cela réside tout le paradoxe philanthropique : entre contribution originale et discrétion contestable.[29]
Réflexions, questionnements et pistes d’action
C’est sur ce paradoxe que se fonde notre réflexion en matière d’action philanthropique en solidarité internationale.
Nous l’aurons compris : que les budgets nationaux alloués à la coopération au développement – et à toute autre thématique sociale – diminuent et que les ressources privées se fassent de plus en plus présentes ne constitue pas un problème en soi et pourrait même se révéler positif. Chacun de ces modes de financement possède des atouts et des faiblesses. Par contre, que la part du public disparaisse complètement et que celle du privé se rende indispensable et prenne le contrôle de certaines missions d’intérêt général, plaçant association et organisation qui défendent ces missions en situation de dépendance, pourrait se révéler problématique. Il convient de se demander si cette relation de dépendance et les exigences qui l’accompagnent ne pourraient constituer une entrave à la capacité de contre-pouvoir dont doivent pouvoir faire preuve les organisations de la société civile. In fine, la philanthropie ne serait alors qu’un emplâtre sur une jambe de bois, perpétuant les relations de pouvoir inégalitaires, à l’encontre du paradigme d’empowerment qui régit la coopération au développement d’aujourd’hui. Cet enjeu, certains acteurs l’ont bien saisi, preuve en est le réseau EDGE Funders Alliance, qui vise un changement systémique, une transition vers une société plus juste et équitable.[30]
Et si, pour éviter cette situation problématique et continuer d’insister sur la nécessité de mobiliser des ressources alternatives aux budgets nationaux, les pouvoirs publics, étatiques et multilatéraux structuraient davantage, à coup de recommandations et bonnes pratiques, les organisations philanthropiques actives en solidarité internationale ? Guidelines et autres plateformes créées par l’OCDE et l’ONU vont dans ce sens. Il s’agit ni plus ni moins d’élaborer la « Déclaration de Paris, d’Accra, de Busan… » de la philanthropie, afin d’éviter les écueils subis par les acteurs gouvernementaux en matière de développement à la fin des années 1990. Or, depuis dix ans, nombreux sont ceux qui se sont penchés sur ces accords inter-gouvernementaux et ont exprimé leurs doutes quant aux progrès réalisés dans le cadre de l’agenda de l’aide. Arnaud Zacharie, notamment, souligne que cet agenda « a continué de ne pas suffisamment prendre en compte la nature politique de l’aide au développement, en la présentant comme un domaine technique dans lequel les parties prenantes ont une vision consensuelle du développement ».[31]
Or, compte tenu de la diversité des philanthropes, de leur pluralisme d’opinions et du peu de données dont nous disposons à leur sujet, il est légitime de se demander si un accord consensuel pourrait dépasser la vision théorique et être appliqué en pratique. Il nous semble important de reconnaitre la nécessité d’améliorer la transparence de l’action philanthropique. Néanmoins, il nous faut également reconnaître qu’un « code de conduite philanthropique » risquerait de limiter leur capacité pluraliste et innovatrice, les assimilant aux acteurs gouvernementaux, souvent piégés dans et par leur carcan paradigmatique. La question reste ouverte.
Au final, nous recommandons à chacun de s’informer pour s’éloigner des idéologies obtuses qui confinent un peu trop rapidement le financement privé aux notions de particularisme, d’insuffisance, d’amateurisme, d’opacité et de paternalisme, et de s’approcher d’un pragmatisme éveillé à la découverte, à la compréhension et à l’appréciation de modes opératoires et d’alternatives économiques et financières, peut-être peu usuels, mais qui offrent la possibilité de viser un même objectif de solidarité sous différents angles. En conclusion, la philanthropie en solidarité internationale doit peut-être simplement être appréhendée comme une opportunité d’interactions entre secteurs, publics et privés, collectifs et individuels, profit et non–profit, pour atteindre un objectif commun ; une opportunité d’ouvrir de nouveaux espaces de collaboration entre différents acteurs qui se côtoient et se connaissent généralement peu.
Elodie Dessy
Le contenu de cet article se base en grande partie sur une recherche exploratoire plus vaste menée dans le cadre de la réalisation du mémoire de fin de Master en Sciences de la Population & du Développement, Faculté des Sciences Sociales, Université de Liège.
[1] Titre d’un article du Vif / L’Express paru le 16 juin 2016. Pour accéder à l’article complet : http://www.levif.be/actualite/insolite/la-bolivie-dit-non-aux-milliers-de-poules-offertes-par-bill-gates/article-normal-513341.html, dernièrement consulté le 16 novembre 2016.
[2] Titre d’un article du Monde paru le 30 août 2016. Pour accéder à l’article complet : http://www.lemonde.fr/international/video/2016/08/30/mark-zuckerberg-parle-pauvrete-chez-le-pape-francois_4989762_3210.html, dernièrement consulté le 16 novembre 2016.
[3] Maxime Fortin, novembre 2015, « Justice sociale et philanthropie, une relation tendue », [URL : http://www.ledevoir.com/societe/ethique-et-religion/454764/sommet-2015-sur-la-culture-philanthropique-justice-sociale-et-philanthropie-une-relation-tendue, dernièrement consulté le 4 décembre 2016] ; Académie des Entrepreneurs sociaux, 2015, Baromètre des entreprises sociales en Belgique, HEC-ULg, [URL : http://www.academie-es.ulg.ac.be/Barometre2015.pdf, dernièrement consulté le 4 décembre 2016] ; Frédérique Konstantatos, 2013, Fondations et économie sociale, Solidarité des Alternatives Wallonnes et Bruxelloises (SAW-B).
[4] La Libre Belgique, 23 mars 2017, « Quand Internet se mobilise contre la famine ».
[5] Heather Grady, 2015 (décembre), « New mindsets and practices are needed to finance the SDGs », in Alliance Magazine, [URL : http://www.alliancemagazine.org/feature/new-mindsets-and-practices-are-needed-to-finance-the-sdgs/, dernièrement consulté le 15 novembre 2016].
[6] « L’aide publique au développement (APD) est fournie par les États pour améliorer le développement économique et le niveau de vie des pays en développement », plus d’informations, http://www.oecd.org/fr/cad/lesmembresducad.htm, dernièrement consulté le 24 mars 2017.
[7] « Le Comité d’aide au développement a été créé au sein de l’OCDE par résolution ministérielle le 23 juillet 1961. Un forum international unique, le CAD réunit des quelques plus grands fournisseurs de l’aide, y inclus ses 30 membres », plus d’informations : http://www.oecd.org/fr/cad/lesmembresducad.htm, dernièrement consulté le 24 mars 2017.
[8] Banque de données de l’OCDE, [URL : https://data.oecd.org/oda/net-oda.htm, dernièrement consultée le 20 novembre 2016].
[9] Mark Campanale & Iancu Daramus, 2016 (juin), « Philanthropy’s role in mobilizing green finance », in Alliance Magazine, [URL : http://www.alliancemagazine.org/feature/philanthropys-role-in-mobilizing-green-finance/, dernièrement consulté le 15 novembre 2016] ; International Energy Agency (IEA), 2015 (octobre), « Climate pledges for COP21 slow energy sector emissions growth dramatically », [https://www.iea.org/newsroom/news/2015/october/climate-pledges-for-cop21-slow-energy-sector-emissions-growth-dramatically.html, dernièrement consulté le 24 mars 2017].
[10] À l’exception de l’année 2010 où elle atteint les 0.64% du RNB, l’APD belge oscille depuis 2007 entre 0.43% et 0.55% et heurte pour l’année 2015 un plancher de 0.42%, soit bien en deçà de l’objectif international des 0.7% fixé dans les années 1970. Banque de données de l’OCDE, [URL : https://data.oecd.org/oda/net-oda.htm, dernièrement consultée le 20 novembre 2016] ; Direction générale Coopération au Développement et Aide humanitaire (DGD), 2016 (mai), Rapport annuel 2015.
[11] Pour plus d’informations : http://www.oecd.org/fr/ & http://datat.oecd.org/fr/, dernièrement consultés le 24 mars 2017.
[12] Précisions quant aux données du graphique : l’APD nette, qui équivaut à 137 milliards USD, est fournie par les États ; les apports privés incluent les investissements directs étrangers (IDE), les envois de fonds des migrants et d’autres transactions financières du secteur privé ; les dons d’organismes privés (dont ONG) comprennent les fondations privées, les ONG et le secteur privé à but lucratif. Pour des définitions plus détaillées, voir https://data.oecd.org/fr/developpement.htm, dernièrement consulté le 24 mars 2017.
[13] 62 milliards ont donc été alloués à ce qui est parfois appelé « l’aide fantôme », autrement dit ne représentant pas des montants nouveaux à la disposition des pays du Sud (allègement de la dette, aide humanitaire, accueil des réfugiés et frais administratifs liés à ces transactions) ; Homi Kharas, 2008, « The New Reality of Aid », in Lael Brainard & Derek Chollet (éds.), 2008, Global Development 2.0. Can Philanthropists, the Public, and the Poor Make Poverty History? ; Nicolas Van Nuffel & Arnaud Zacharie (dir.), 2015, Rapport 2015 sur l’aide belge au développement. Des Objectifs du millénaire aux Objectifs de développement durable, CNCD-11.11.11. ; Samuel Worthington & Tony Pipa, 2011, « Private Development Assistance: The Importance of International NGOs and Foundations in a New Aid Arichtecture », in Homi Kharas et al., 2011, Catalyzing Development. A new vision for aid.
[14] Donorinfo, 2017, Analyse finanicère des organisations philanthropiques belges, p.8 [URL : http://donorinfo.be/fr/page/publications, dernièrement consulté le 29 mars 2017].
[15] Arnaud Zacharie (dir.), 2017, Rapport 2016 sur l’aide belge au développement. Peut-on faire mieux avec moins ?, CNCD-11.11.11.
[16] Gautier Pirotte & Julie Godin, 2013, Enquête sur les Initiatives Populaires de Solidarité Internationale, Presses Universitaires de Liège, p.141 ; Brian Pratt et al., 2012, Understanding private donors in international development, International NGO Training and Research Centre, Policy Briefing Paper 31.
[17] Gregory J. Dees, 2008, « Philanthropy and Entreprises: Harnessing the Power of Business and Social Entrepreneurship for Development », in Lael Brainard & Derek Chollet (éds.), 2008, Global Development 2.0. Can Philanthropists, the Public, and the Poor Make Poverty History?, Brookings Institution Press, p. 120-121.
[18] Alliance Magazine, 2016 (septembre), « What Influence does Philanthropy exert? », in Alliance Magazine, [URL : http://www.alliancemagazine.org/feature/what-influence-does-philanthropy-exert/, dernièrement consulté le 15 novembre 2016].
[19] Heather Grady, 2014, Philanthropy as an Emerging Contributor to Development Cooperation, United Nations Development Program (UNDP) ; Noshua Watson, 2012, The Changing Ecosystem of Philanthropies in International Development, The Bellagio Initiative.
[20] Jens Martens & Karolin Seitz, 2015, Philanthropic Power and Development. Who shapes the agenda?, Bischöfliches Hilfswerk Misereor.
[21] Lester Salamon, 1987, « Partners in public service. The scope and theory of government-nonprofit relations », in Walter Powell, 1987, The Nonprofit Sector: A Research Handbook, Yale University Press, pp. 99-117.
[22] Julien Winkel, 2014 (juin), « Et si le financement privé était l’avenir de l’innovation sociale ? » in Alter Echos, [URL : http://www.alterechos.be/alter-echos/et-si-le-prive-etait-lavenir-de-linnovation-sociale/, dernièrement consulté le 15 novembre 2016] ; Paul Benkimoun, 2012 (août), « Philanthropie politique », in Le Monde, [URL : http://www.lemonde.fr/idees/article/2012/08/30/philanthropie-politique_1753414_3232.html, dernièrement consulté le 10 novembre 2016].
[23] Theo N. Schuyt, 2010, « La philanthropie dans les Etats providence européens : une promesse ambitieuse ? », Revue internationale des Sciences Administratives, vol. 76, n° 4, pp. 811-826 ; Matthew Bishop & Michael Green, 2008, Philanthrocapitalism. How giving can save the world, Bloomsbury Publishing Plc ; Karl Zinsmeister, 2016 (mai), « 12 common criticisms of philanthropy — and some answers », in Standford Social Innovations Review, [URL : https://ssir.org/articles/entry/12_common_criticisms_of_philanthropyand_some_answers, dernièrement consulté le 6 novembre 2016].
[24] Jean François Pollet, 2014 (mars), « La fondation Gates ou la charité (mal) ordonnée », [http://www.cncd.be/La-Fondation-Gates-ou-la-charite, dernièrement consulté le 24 mars 2017].
[25] Heather Grady, 2014, Philanthropy as an Emerging Contributor to Development Cooperation, United Nations Development Program (UNDP ; Heidi Metcalf, 2010, « The Role of Private Assistance in International Development », New York University International Law and Politics, pp. 101-119.
[26] Alexandre Lambelet, 2014, La philanthropie, Presses de la fondation nationale des sciences politiques ; Gautier Pirotte, 2007, La notion de société civile, La Découverte, Collection Repères ; Theo N. Schuyt, 2013, Philanthropy and the Philanthropy Sector. An Introduction, Ashgate Publishing Ltd.
[27] Patrick Develtere & Tom De Bruyn, 2009, « The emergence of a fourth pillar in development aid », Development in Practice, vol. 19, n° 7, pp. 912-922 ; Michael Edwards, 2011, The Role and Limitations of Philanthropy, The Bellagio Initiative ; Julien Winkel, 2014 (juin), « Et si le financement privé était l’avenir de l’innovation sociale ? » in Alter Echos, [URL : http://www.alterechos.be/alter-echos/et-si-le-prive-etait-lavenir-de-linnovation-sociale/, dernièrement consulté le 15 novembre 2016].
[28] Pour en savoir plus sur Kampani : Fondation Roi Baudouin, 2016 (mai), « Le Fonds à impact social belge Kampani réalise son premier investissement », [https://www.kbs-frb.be/fr/Newsroom/Press-releases/2016/20160526ND, dernièrement consulté le 24 mars 2017].
[29] Brian Pratt et al., 2012, Understanding private donors in international development, International NGO Training and Research Centre, Policy Briefing Paper 31.
[30] Pour plus d’information, voir http://edgefunders.org/about-us/, dernièrement consulté le 29 mars 2017.
[31] Arnaud Zacharie, 2013, Mondialisation : qui gagne, qui perd. Essai sur l’économie politique du développement, Editions Le Bord de l’Eau, Collection La Muette, p. 229.