Université de Liège
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Sept clés pour comprendre la malnutrition et les discriminations liées au genre

femmeetnutrition4Touchant un tiers de la population mondiale, la malnutrition représente un enjeu universel. Cependant, il semble que ce sont les femmes et les filles vivant en milieu rural qui en sont les premières victimes (FAO, 2013). Qu’est-ce que la malnutrition et d’où provient cette apparente discrimination sont les questions auxquelles cet article va tenter de répondre.

Malgré les progrès techniques des dernières décennies, 1 personne sur 3 dans le monde souffre d’au moins une forme de malnutrition[1]. Parmi elles : 800 millions de personnes souffrent de la faim (sous-alimentation prolongée) ; plus de 2 milliards de personnes vivent avec des carences en micronutriments tandis que près de 600 millions de personnes souffrent d’obésité[2]. Les causes de la malnutrition sont complexes et interdépendantes, et ses conséquences humaines, sociales, et économiques dépassent le cadre stricte de la santé individuelle.

Chez les jeunes enfants, la malnutrition peut avoir des conséquences directes se répercutant tout au long de la vie : retard de croissance, réduction du développement physique et cognitif et difficultés d’apprentissage. Bien que la médecine continue de progresser, en 2014, 159 millions d’enfants de moins de 5 ans souffraient encore d’un retard lié à un épisode de malnutrition.

Chez les adultes, la malnutrition affaiblit, rend moins productif et plus vulnérable face à d’autres maladies. Pour les familles paysannes qui vivent de leur travail manuel et qui sont paradoxalement les principales victimes de ce phénomène, les conséquences en termes de revenus et de qualité de vie sont immédiates.

Le défi est de taille : pour tenter de répondre à la malnutrition chronique, l’aide humanitaire d’urgence ne suffit pas. Le droit à l’alimentation doit être traité sous tous ces aspects et géré à long terme.

Analyser la nutrition en adoptant une approche genre[3], nous permet de mettre en lumière différents aspects de la problématique mais aussi d’identifier des pistes de solution. Les rôles et positions des hommes et des femmes ne sont pas figés ; ils dépendent d’une région, d’un groupe social et d’une génération à l’autre. Pourtant, en règle générale, les femmes sont confrontées à de plus grandes difficultés que les hommes en ce qui concerne l’accès aux ressources productives, aux marchés et aux services[4]. Elles sont aussi confrontées à des obstacles juridiques et sociaux supplémentaires. Selon la Coalition contre la faim (CCF)[5], sept axes doivent être pris en compte pour comprendre la problématique de la nutrition et les discriminations liées au genre.

1)      Répartition inégale de l’alimentation

Dans le monde, 75% des personnes souffrant de faim et de malnutrition sont des paysan-ne-s. Ce paradoxe s’explique par le fait que la cause première de la malnutrition reste la pauvreté. Pour lutter contre la pauvreté et assurer une vie digne à leur famille, nombreux-ses agriculteurs et agricultrices vendent leurs produits de qualité, à haute valeur nutritive, pour s’acheter des denrées de moindre qualité et à prix bas[6].

Pour les femmes rurales, la situation est encore plus difficile.

« S’il y a assez de nourriture, cela ne pose pas de problème, toute la famille mange à sa faim. Par contre, quand il y a rationnement, ce sont souvent les femmes qui vont manger après les hommes et après leurs enfants[7].»

De plus, dans les pays en développement, certains tabous et habitudes alimentaires privent les femmes de consommer des denrées riches en protéines, fer et vitamines. Il faut donc veiller à aller au-delà de l’unité de base, « la famille » ou le « ménage » pour observer la répartition de la nourriture en son sein, pour chaque personne.

2)      Différents types de productions

Les femmes représentent 43% de la main d’œuvre agricole dans les pays en développement et s’occupent principalement de l’agriculture vivrière qui constitue la majeure partie de l’apport nutritionnel des familles paysannes. En 2011, la FAO estimait que les femmes produisent 60 à 80% des aliments de consommation familiale dans la plupart des pays en développement. Les hommes, eux, s’occupent généralement des cultures destinées à la vente et/ou au secteur de l’agroalimentaire afin d’assurer un revenu à leurs familles. Même si leur rôle est souvent oublié et peu reconnu, les femmes sont donc les principales responsables de la sécurité alimentaire de la famille.

3)      Accès au marché

Ce sont généralement les hommes qui se chargent de la commercialisation de la production. Dans certains endroits, les femmes n’ont pas du tout accès au marché.

« Par exemple, au Maroc, dans la vallée du Drâa, ce sont les maris qui vendent la production. Les femmes s’occupent et élèvent les chèvres mais ce sont leurs maris qui les vendent. Ils reviennent à la maison en annonçant le prix de la vente à leurs femmes. Elles n’ont alors aucun moyen de contrôler si ce montant est réellement celui qu’ils ont perçu ».

Dans d’autres régions, elles ont accès au marché local mais n’ont pas accès à l’information sur les prix. Elles ne peuvent donc pas vendre leur production au meilleur prix.

4)      Valorisation des savoirs traditionnels et recherche

Dans de nombreux pays en développement, les femmes rurales sont les gardiennes des semences, des savoirs traditionnels et de la biodiversité. Bien qu’elles soient souvent analphabètes et aient difficilement accès aux nouvelles technologies, elles conservent leur rôle traditionnel tout en inventant de nouvelles stratégies pour lutter contre le changement climatique et nourrir leur famille.

Alors que des processus de recherche-action seraient nécessaires pour valoriser leurs savoirs et leur adaptabilité, la recherche s’intéresse essentiellement à l’agriculture de rente. Les femmes, principales actrices de l’agriculture vivrière, sont donc mises à l’écart et bénéficient peu des avancées de ces recherches.

5)      Accès sécurisé et contrôle des ressources

Selon la FAO (2011), si les femmes en milieu rural bénéficiaient du même accès aux ressources productives que les hommes, le nombre de personnes souffrant de la faim dans le monde pourrait diminuer de 12 à 17%.

De manière générale, l’accès sécurisé et le contrôle des ressources représentent une difficulté pour les femmes. Elles ont généralement un accès aux ressources mais celui-ci n’est pas sécurisé et elles n’en ont pas le contrôle. L’accès à la terre peut dépendre des lois traditionnelles, religieuses et juridiques.

« Dans certaines situations, les femmes ont accès à la terre pendant la saison sèche. Elles y mettent des intrants, elles y amènent de l’eau, […] mais au moment de la saison des pluies, les hommes reprennent la terre. Tous les intrants qu’elles ont mis sont au bénéfice de la terre pour la culture du mari.»

L’accès aux ressources ne se résume pas à la terre. Selon la FAO (2010-2011), dans tous les pays du monde, « les femmes ont moins de terres et de bétail que les hommes, utilisent moins de semences améliorées, achètent moins d’intrants, recourent moins aux crédits et aux assurances ».

6)      Coresponsabilité familiale et citoyenne

Coresponsabilité citoyenne

Pour avoir accès aux ressources, il faut avoir accès aux organes de gestion, de négociations et de décisions. Or bien souvent, les femmes n’y ont pas accès ou n’ont pas leur mot à dire. Prendre sa place alors que ce n’est culturellement pas valorisé pour les femmes n’est pas une mince affaire. Elles vont alors se retrouver avec des parcelles de terre plus éloignées, moins productives, de moins bonne qualité et plus rocailleuses.

Co-responsabilité familiale :

Les hommes ont une responsabilité dans la sécurité alimentaire et nutritionnelle de leur famille, qui ne peut reposer uniquement sur les femmes. Il faut mettre en place des activités/des formations pour responsabiliser l’ensemble de la famille, les hommes y compris, sur la diète alimentaire, en augmentant par exemple la participation des hommes dans la maintenance des foyers, dans la préparation des repas et dans le soin aux enfants, rôles traditionnellement pris en charge par les femmes (FAO, 2013).

7)      Sécurité

Dernière composante mais non des moindres, la sécurité joue un rôle très important dans l’accès à une nourriture de qualité nutritive. La violence et l’insécurité ont des conséquences directes et négatives sur la production agricole.

« Dans le cas de violences intrafamiliales, les femmes sont moins aptes à travailler au champs. Dans d’autres régions comme le Kivu, où la violence est généralisée et où les femmes sont les premières victimes, les femmes n’osent plus aller au champ, par peur de se faire violer en chemin. Elles restent donc en ville et développent tant bien que mal des petits potagers urbains ou autres commerces ».

Premières victimes de la malnutrition, les femmes sont centrales dans les solutions à mettre en œuvre.

Les femmes ont un rôle central dans la nutrition et la sécurité alimentaire. De fait, dans de nombreuses régions, elles prennent en charge les rôles dits reproductifs. Traditionnellement, elles ont la responsabilité de préparer le repas des enfants et des autres membres de la famille. Malgré les nombreuses inégalités que nous avons évoquées, les femmes mettent en place différentes solutions pour tenter de vivre dignement et de se procurer une alimentation saine et durable.

Comme nous l’avons vu, l’information sur les prix et les conditions de vente est plus difficilement accessible aux femmes. Face à cette situation, certaines femmes se regroupent en coopératives pour vendre leur production dans de meilleures conditions. Elles peuvent alors utiliser cet argent pour l’investir dans le bien-être de la famille. En effet, quand les femmes ont à leur disposition des revenus plus importants, la nutrition, la santé et l’instruction des enfants sont améliorés (FAO, 2010-2011).

Dans le cadre de ses actions, ADG soutient différentes organisations locales au Pérou et en Bolivie. Les approches « déviance positive » au Pérou et « Attention intégrée aux maladies prévalant dans l’enfance – AIEPI » en Bolivie sont fondées sur la conviction qu’il existe dans chaque communauté certaines femmes qui ont des pratiques leur permettant de se nourrir mieux que leurs voisin-ne-s, alors qu’elles disposent de ressources similaires et sont confrontées aux mêmes risques.

Au fil de ces processus, se dégagent des « Madres Vigilantes » ou promotrices, actives dans la diffusion de savoirs et pratiques. La méthodologie débute par un diagnostic des capacités, attitudes et pratiques pour identifier les « déviantes positives », ou promotrices, et se poursuit par l’organisation d’ateliers « à la maison ». Ceux-ci, organisés dans chaque communauté par petits groupes, sont des espaces de formation pratique autour du thème nutritionnel, durant lesquels les familles préparent et consomment les aliments de leurs récoltes tout en apprenant les bonnes pratiques alimentaires et l’équilibre de la ration.

Ce travail mené au Pérou et en Bolivie permet, non seulement, d’améliorer l’alimentation et la nutrition des familles paysannes, mais aussi, de valoriser le rôle des femmes au sein de leur famille et de leur communauté.

Au niveau de la production des stratégies se mettent aussi en place pour créer des systèmes agricoles plus résilients et durables. En développant d’autres formes de productions et de revenus, les femmes rurales jouent un rôle très important dans la transition vers un système alimentaire durable et vers l’agroécologie.

« Sans nécessairement être définie comme telle au départ, les femmes rurales mettent en œuvre naturellement une agriculture plutôt de type agroécologique. Par exemple, elles n’ont pas accès aux intrants donc elles en mettent peu. »

En valorisant et en renforçant le savoir-faire traditionnel des femmes rurales, l’agroécologie leur permet d’améliorer et de diffuser des techniques de production. Cela contribue à leur renforcement au niveau personnel (estime de soi), et vis-à-vis des autres membres de la famille et de la collectivité (reconnaissance de leur contribution). L’agroécologie dans une perspective de genre permet une approche multidimensionnelle de la nutrition et de la sécurité alimentaire. Au Nord comme au Sud, les femmes s’impliquent de plus en plus dans les initiatives de développement durable et de transition. Le chemin vers l’équité de genre est encore long, mais il est en marche !

Gwendoline Rommelaere

Pour aller plus loin :

  • Aide au Développement Gembloux (ADG) : L’agroécologie : reconnecter l’homme à son écosystème.
  • CHARLIER, S. & NUOZZI, C. (2014). Agroécologie, plaidoyer pour une perspective de genre, lutte contre la malnutrition et pour une souveraineté alimentaire. Recherche et plaidoyer du Monde selon les femmes, n°15, Bruxelles.
  • CHARLIER, S. & DEMANCHE, D. (2014), Perspectives de genre pour l’agroécologie – Regards croisés sur la souveraineté alimentaire, Cief genre du Monde selon les femmes.

[1]La malnutrition survient quand une personne ne reçoit pas une quantité suffisante de nourriture ou une nourriture non adaptée. Il faut donc prendre en compte aussi bien les calories nécessaires aux besoins journaliers que les micronutriments (vitamines et minéraux). Les personnes en surpoids ou en obésité peuvent donc se retrouver dans cette catégorie.

[2] FAO 2016

[3] Analyser les rôles et les rapports de pouvoir entre les hommes et les femmes

[4] FAO (2010-2011), la situation mondiale de l’alimentation et de l’agriculture, le rôle des femmes dans l’agriculture, combler le fossé entre les hommes et les femmes pour soutenir le développement.

[5] Fiche thématique Genre et nutrition (2014), basée sur les informations de Le Monde selon les femmes (LMSLF) et son partenaire REMTE Bolivie : CHARLIER, S. & DEMANCHE, D., «Perspectives de genre pour l’agroécologie – Regard croisés sur la souveraineté alimentaire», Le Monde selon les femmes, 2014

[6] Coalition contre la faim, 2013

[7] Entretien avec Sophie Charlier, chargée de mission plaidoyer et responsable de la recherche auprès de l’ONG belge Le Monde Selon Les Femmes (LMSLF)

Author: Alin Teclu

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