Après Paris et Marrakech, que reste-t-il à faire pour sauver le climat?
Le rôle des acteurs politiques, industriels et de la société civile dans la lutte contre le réchauffement climatique
L’action de la communauté internationale est-elle suffisante ?
Après l’adoption de l’accord de Paris en décembre 2015 et son entrée en vigueur en novembre dernier, la COP22 de Marrakech a été « la COP de l’action ». L’objectif général de cette conférence était de mettre en œuvre l’accord qui fixe des objectifs mais qui ne précise pas les mécanismes pour les atteindre. Les différentes délégations réunies à Marrakech y ont souligné l’urgence d’agir pour maintenir l’élévation de la température en dessous de 1,5ºC par rapport aux niveaux préindustriels. Par ailleurs, elles ont mis en avant l’importance de la coopération internationale pour aider les pays les plus pauvres à lutter contre le changement climatique. C’est une avancée importante, mais elle ne doit pas nous faire oublier la réalité: le climat s’emballe. D’après les données de la NASA, l’année 2016 a battu le record de chaleur de 2015 et a été la plus chaude depuis le début des mesures en 1880[1]. Le réchauffement climatique est plus rapide que l’action politique menée pour le combattre. Malgré la mobilisation massive de la société civile, les déclarations d’intention des organisateurs des conférences et le consensus apparent de la classe politique pour freiner l’élévation de la température globale, les accords restent insuffisants. Pourquoi ?
Les « contributions déterminées au niveau national »
Le discours triomphaliste des institutions internationales est discrédité par le manque d’action effectif des gouvernements. L’article 2 de l’accord fixe des objectifs très ambitieux mais les Parties à la Convention (les gouvernements nationaux et les organisations régionales, comme l’Union Européenne) restent responsables, en dernier ressort, de la mise en place des politiques pour les atteindre. Chaque partie doit rendre ses « contributions déterminées au niveau national » pour prouver sa volonté de réduire les émissions de gaz à effet de serre[2]. Toutes les parties ne l’ont pas encore fait, mais ceci n’est pas ce qui nous empêche d’avancer. La préoccupation majeure des gouvernements actuels étant d’assurer la compétitivité et la croissance économique, la plupart des politiques environnementales sont concertées avec le monde de l’industrie et non pas avec les acteurs qui défendent la cause climatique.
L’article 2 de l’accord de Paris fixe trois objectifs globaux dans la lutte contre le réchauffement climatique : a) Contenir l’élévation de la température moyenne de la planète nettement en dessous de 2 °C par rapport aux niveaux préindustriels et poursuivre l’action menée pour limiter l’élévation de la température à 1,5 °C par rapport aux niveaux préindustriels Il reconnait également que tous les pays n’ont pas la même capacité pour faire face au réchauffement climatique. Le texte de l’accord est disponible sur : https://unfccc.int/files/meetings/paris_nov_2015/application/pdf/paris_agreement_french_.pdf |
L’industrie, l’invité gênant des négociations internationales
Tout comme les gouvernements et les ONG, les multinationales sont aussi présentes aux négociations climatiques et elles y pèsent lourd. Même les grandes compagnies du pétrole, les entreprises les plus polluantes de la planète, se rendent aux conférences ainsi que les entreprises de l’énergie nucléaire, qui se revendiquent des acteurs du changement énergétique. Par le lobbying auprès des décideurs, qui se fait surtout avant les sommets climatiques, les grandes corporations essaient d’obtenir des accords qui n’aillent pas à l’encontre de leurs intérêts. À la différence des activités de pression des ONG, la manière d’agir de ces multinationales est extrêmement opaque : elle est rarement relayée par les médias et la plupart des contacts qu’elles entretiennent avec les décideurs ne sont jamais rendus publics. Les moyens dont elles disposent pour se faire entendre (par les politiciens) sont bien plus importants que ceux des ONG[3]. Dans les négociations climatiques, tous les acteurs n’ont pas le même poids. Le rapport de forces entre société civile, classe politique et industrie est très inégal. D’autant plus qu’un grand nombre de décideurs s’engagent dans le secteur privé dès que leur carrière publique est achevée, ce qui consolide les liens entre le monde politique et celui de l’entreprise. Dans le sens inverse, la récente élection du climato-sceptique Donald Trump à la tête du gouvernement américain est un bon exemple d’industriel qui passe dans la sphère politique. Le programme politique du président élu, qui établit comme priorités la croissance économique et le renforcement de la compétitivité des entreprises américaines, menace de mettre un terme aux compromis environnementaux acquis par le président Obama. Lors de la COP22, les différentes délégations et les représentants de la société civile ont exprimé leur opposition ferme aux paroles climato-sceptiques de Trump et ont rappelé que l’accord est juridiquement contraignant.
La société civile et la justice climatique
Parmi les effets néfastes du réchauffement climatique, les phénomènes climatiques extrêmes (sécheresse, inondation, tempête…) restent les plus visibles. Ils touchent souvent les régions les plus défavorisées du monde et entrainent dans certains cas des migrations massives de la population qui les subit. De nos jours, le nombre de réfugiés climatiques, bien que peu médiatisé, est en constante augmentation[4]. Tout comme la guerre ou la famine, la dégradation des conditions environnementales est un facteur qui pousse les personnes à quitter leurs maisons et à aller chercher une meilleure vie ailleurs. Malheureusement, dans plusieurs régions du monde, les populations n’ont pas les moyens de se déplacer quand les conditions environnementales deviennent insupportables et des personnes meurent lors de longues sécheresses, d’inondations ou d’ouragans sans pouvoir y échapper.
Ce sont les plus vulnérables qui subissent les pires conséquences du réchauffement planétaire. Cela doit changer. Les acteurs de la société civile, tout en étant moins puissants, sont le principal instrument de lutte contre ces inégalités. Au Nord comme au Sud, ils travaillent pour que la voix des plus faibles soit entendue. De plus en plus de chercheurs étudient les changements climatiques et les crises humanitaires qui en résultent, dont les migrations. C’est le cas de l’observatoire Hugo, lancé fin 2016 à l’ULg (voir encadré). De leur côté, les ONG encouragent la mobilisation citoyenne pour exiger plus de justice climatique auprès des décideurs. Nous l’avons vu à la veille de la COP21 à Paris, où des milliers de personnes sont descendues dans les rues pour réclamer des politiques plus responsables à l’égard des pays en développement. Dans les pays du Sud, les organisations de la société civile sont des acteurs cruciaux pour assurer le dialogue avec les pays développés. elles veillent à ce que ce ne soit pas les plus vulnérables qui fassent le plus d’efforts pour atteindre les objectifs de Paris. C’est bien une question de justice climatique.
L’observatoire Hugo
En novembre dernier, l’Université de Liège a accueilli une série de conférences pour célébrer le lancement de l’observatoire Hugo, premier observatoire mondial consacré à l’étude des migrations humaines issues des changements climatiques. Ce nouveau centre de recherche, dont le nom rend hommage à Graeme Hugo –l’un des premiers chercheurs sur les migrations climatiques– vise à changer le regard des décideurs et des médias sur cette catastrophe si longtemps négligée. |
La déclaration de Marrakech
Les manifestations pour plus de justice climatique ont été nombreuses lors de la COP22. Les représentants des mouvements sociaux, rassemblés à Marrakech, ont signé une déclaration[5] pour réaffirmer la détermination de la société civile à de défendre la justice climatique mais aussi pour dénoncer la présence des multinationales aux conférences internationales. Ils ont également exigé plus des dirigeants internationaux de ne pas se plier aux demandes des multinationales mais de défendre transformation ambitieuse des systèmes énergétiques d’ici 2050.
Chez-nous, quelles actions citoyennes pour faire face aux multinationales ?
Dénoncer les abus des multinationales auprès des institutions politiques est nécessaire, mais ne suffira pas à combler le manque de démocratie qui règne dans la prise de décisions. Pour qu’un grand changement se produise, nous devons changer nos choix de consommation. Des comportements individuels plus soucieux de l’environnement, du commerce équitable et de la justice sociale peuvent entrainer des améliorations importantes des systèmes de production et donc de l’économie mondiale.
De nombreuses coopératives et des petits commerces travaillent déjà pour faire face aux grandes entreprises, en offrant des services qui assurent un traitement plus juste aux producteurs et aux consommateurs ainsi qu’un plus grand respect de l’environnement. Ces coopératives sont également plus démocratiques que les entreprises traditionnelles dans la mesure où elles limite très fort la rentabilité pour l’actionnariat et réinvesstissent les bénéfices. Les déplacements en transport public, les achats dans des magasins de seconde main ou une meilleure gestion des déchets et de l’énergie peuvent également contribuer à produire un changement de société.[6]
La lutte continue
Aujourd’hui, l’objectif de maintenir la température globale en dessous de 1,5º ne semble pas faisable, compte tenu de l’état d’avancement du réchauffement climatique. Selon l’ONG Les Amis de la Terre, nous sommes entrés dans la « décennie zéro »[7], nous devons agir dès maintenant pour éviter que les conséquences du réchauffement climatique soient irréversibles et pour que les générations suivantes puissent profiter des mêmes conditions environnementales que nous. Nous, c’est toute la société, bien que tous les acteurs n’aient pas la même responsabilité ni les mêmes moyens. Les décideurs politiques et les entreprises doivent chercher des solutions qui permettent d’atteindre à court terme les objectifs accordés à Paris et à Marrakech. Ces solutions doivent veiller à la protection de l’environnement et de ceux qui souffrent à cause de nos excès. Par ailleurs, il est primordial que la question financière soit vite réglée afin que les pays les plus vulnérables puissent mener des politiques de croissance dans un cadre de développement durable. Enfin, la mobilisation de la société civile et l’action citoyenne restent aujourd’hui plus que jamais l’instrument le plus efficace pour combattre les injustices –sociales et climatiques– et assurer le bien-être des générations qui nous suivront.
Yolanda Fernandez Alonso
Volontaire UniverSud